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Marc Dubrule, au jardin de l’âme

Né en 1963, Marc Dubrule s’initie adolescent au dessin dans les cours de modèle vivant des ateliers de la Ville de Paris et les sessions d’été des Beaux-Arts. Diplômé de l’Ecole Supérieure de Commerce de Paris en 1984, il part pour Johannesbourg comme coopérant-diplomate ; un séjour de près de deux années rythmé par la découverte des cultures d’Afrique australe. Après un nouveau passage à Paris, il s’initie à l’encre de Chine (sumi-e) lors d’une expatriation de quatre années à Séoul dans les années 1990, dont il revient très marqué par sa rencontre des artistes du mouvement coréen Dansaekhwa.

Formé à l’Histoire de l’Art comme auditeur à l’Ecole du Louvre, critique pendant plusieurs années pour le magazine Mixt(e), collectionneur passionné, Marc Dubrule crée depuis ses deux ateliers de Montparnasse et du Luberon. Il mêle la pensée bouddhiste, l’Esprit Mingei et l’esthétique wabi-sabi à son attrait profond pour les formes simples, primitives, organiques. Il peint essentiellement à l’encre de Chine et à l’acrylique sur papier d’’Arches et réalise des sculptures opportunistes à partir de pierres, de branches, et de supports terracotta. Adepte d’une culture asiatique de l’épure, mais d’une approche vivante et expressionniste, ses thèmes vont du corps à la figure humaine et d’une observation personnelle de la nature à un travail plus abstrait marqué par le trait.

Marc Dubrule réalise ses premiers solo shows à Paris : “Alla Prima (et allusif)”, en 2017, au Studio Ymer & Malta, puis “Ne pas peser sur la terre” à la Arthème Galerie en 2018. Il est artiste invité pour la première édition de “Big Hug Transformation” curatée par Marina Amada et Nicolas Jardry à la Galerie 5 de Paris en 2019, et présentera “The Kyoto (silent) Series” avec la Galerie Artismagna lors de la foire d’art contemporain de Lille “Art Up!” de 2021. Marc Dubrule a également contribué au livret accompagnant la sortie musicale de l’album électro Esana de JPLD en 2017, et publié “Traits de vie”, un livre d’artiste composé de textes souvenirs et dessins personnels édité à 400 exemplaires en 2011.

  1. Vous considérez-vous comme une figure en devenir de la scène artistique contemporaine ?

Marc Dubrule : Je ne peux vraiment pas répondre à cette question. Cela serait vraiment trop prétentieux de dire oui et je ne pense pas que cela soit à moi de le dire. Mon travail ne s’inscrit pas dans une logique de carrière artistique. Il s’apparente sans doute plus à une forme de thérapie holistique !

2. Comment définiriez-vous votre style ?

Marc Dubrule : A propos de style, dans son texte sur Cy Twombly, Roland Barthes disait qu’ « un trait est inimitable parce qu’il le juste reflet du corps ». Cela équivaut à dire que chaque artiste, qu’il soit bon ou mauvais, est unique, car indissociable de son corps et, pour être plus précis, de son geste, et de son trait. C’est ce que je pense. La question du coup devient : comment donc définir son geste pour parler de son propre style ? Peut-être en me souvenant qu’un professeur de dessin du primaire me disait souvent que je n’appuyais pas assez sur mon crayon ! Pour le contrarier et parce que cela me plaisait, j’ai continué et toujours cherché une forme de douceur et de délicatesse. Je suis allé naturellement vers la souplesse du pinceau, la fluidité de l’encre ou de l’acrylique, la légèreté de l’aquarelle. Sinon je travaille beaucoup alla prima, oscille entre le maitrisé et le fragile, essaie d’accueillir les accidents et de faire de la place au vide.

Je suis un artiste de la frugalité et interviens de manière minime et primitive sur la page blanche. Je m’inspire de la nature, de formes simples, organiques, et utilise une palette de couleur limitée.  J’aimerais sans doute ne pas trop peser sur la terre…

3. Racontez-nous votre parcours…

Marc Dubrule : Autant que je m’en souvienne, j’ai toujours aimé dessiner. Au-delà de l’école et des cours de dessin, qui étaient mes préférés, j’ai suivi adolescent ceux de la Ville de Paris, les sessions d’été de l’Ecole des Beaux-Arts, plus tard les cours d’histoire de l’art à l’Ecole du Louvre, et j’ai été initié à l’encre de Chine en Asie. Il m’est même arrivé de faire le critique d’art pour un magazine. Mais j’ai choisi de faire une carrière en entreprise dans l’industrie de la beauté. La peinture est restée longtemps un hobby.

En 2010, j’ai compilé un certain nombre de mes dessins et textes dans un livre d’artiste intitulé « Traits de vie » édité à 400 exemplaires. J’y avais mis du cœur. Puis un jour je dinais avec Valérie Maltaverne, la créatrice d’Ymer & Malta : celle-ci m’a encouragé à montrer mes œuvres et proposé de faire une première exposition solo dans son studio à Paris. Je ne l’avais pas envisagé et cela faisait suite à de gros soucis de santé personnels. Mes œuvres étaient alors plutôt sombres… Mais son regard d’esthète sur mon travail m’a donné confiance et j’aimais l’idée de créer cet objet scénographié qu’est l’exposition elle-même. J’ai foncé et l’intérêt du public m’a surpris. Cela s’est accéléré. D’autres expositions personnelles parisiennes ont suivi avec la Arthème Galerie (« Ne pas peser sur la terre »), puis la galerie Artismagna (« The Kyoto (silent) series »).

4. Votre expérience en Corée a-t-elle le déclencheur de votre vocation d’artiste ?

Marc Dubrule : La Corée est l’un des éléments du puzzle en effet. D’autres lieux en Asie du Nord comme Pékin et Kyoto ont compté pour moi.  La Provence où j’ai une maison, l’Afrique australe où j’ai vécu 2 ans également. Dans tous ces lieux si forts visuellement et émotionnellement, on pourrait dire que « les yeux pensent ». Mais vous avez raison de souligner la Corée. J’ai passé quatre années à Séoul de 1997 à 2000. Là-bas je fréquentais les célèbres galeries de Seoul comme la Hyundai Gallery, Park Ryu Sook, la Kukje… J’allais aussi les weekends dans les marchés aux puces ou d’antiquités, les centres d’art, les ventes aux enchères.

Je me suis intéressé à l’artisanat chinois, au mouvement japonais Mingei, à la céramique coréenne. Et j’ai surtout fait une rencontre choc avec l’art contemporain coréen et en particulier avec les peintres du mouvement Dansaekhwa, en ayant la chance d’approcher de près l’œuvre d’artistes absolument fondamentaux comme Yun Hyong-Geun, Park Seo-Bo, Chung Sang-Hwa, Lee U-fan, Ha Chong-Hyun. Ils ont attisé mon envie de créer.

5. Un souvenir lié à votre rencontre avec des artistes issus du mouvement coréen Dansaekhwa ?

Marc Dubrule : C’était en banlieue de Seoul je crois en 1999. Nous allions rencontrer, ma femme Hélène et moi, l’artiste Ha Chong Hyun pour lui acheter une toile avec notre amie broker d’art Laurencina Farrant-Lee qui nous avait introduits auprès de lui. Celui-ci nous a accueillis avec une grande gentillesse dans un atelier-hangar qui ne payait pas de mine. Il nous a offert le thé, montré ses œuvres et nous a expliqué sa fameuse technique du « push back », qui consistait à pousser la peinture de l’arrière vers l’avant du tableau à travers les larges mailles de ses belles toiles brutes. Ce jour-là j’ai pris conscience de l’importance de la matière, de la texture. J’ai aussi mieux compris l’unicité du geste et l’idée d’imperfection dont Ha Chong Hyun nous parla passionnément.

6. Paris & le Luberon, deux poumons nécessaires à votre processus de création ? 

Marc Dubrule : J’ai la chance d’avoir un atelier en Provence et un autre à Paris. Les deux sont extrêmement complémentaires. Le Luberon est pour moi un lieu de création. J’aime perdre le nord au sud, me laisser porter par le silence et la beauté des monts de Vaucluse et du Luberon. La nature et les villages sont sublimes. J’ai des liens forts avec l’histoire littéraire, poétique et artistique de cette région, de Pétrarque à René Char en passant par de Staël ou Camus. Et tout proches le Musée Granet, le Château La Coste, la Collection Lambert, Sénanque, Gordes, Ménerbes, l’Isle-sur-Sorgue sont de vrais terrains de jeu et d’inspiration pour moi.

L’atelier de Montparnasse est lui situé dans une cour intérieure magique, teinté d’histoire de l’art, où passèrent Satie, Ravel, Milhaud, mais aussi Cocteau, Picasso, Apollinaire,… C’est plutôt un lieu d’échange avec les professionnels et clients, et de promotion de mon travail, qui a l’avantage d’être proche de la production, notamment de la réalisation de mes encadrements. C’est une bulle dans la ville. J’y crée aussi et marche dans les quartiers de la rive gauche comme St Germain voire même jusqu’au Louvre où je traine souvent le samedi autour de la Grèce Préclassique.

7. Y a-t-il des lieux imaginaires, rêvés ou perdus, qui vous habitent ?

Marc Dubrule : Sans aucun doute ! Le Fontaine de Vaucluse de Pétrarque et là il faut de l’imagination pour se projeter dans la première moitié du XIVème siècle (pour cela lire « La vie solitaire »).  Les déserts de Namibie où j’ai eu la chance de faire deux séjours au milieu des années quatre-vingt, et leurs couleurs changeantes, avec ce sentiment de bout du monde. Le Kyoto de Sen No Rikyu, immortalisé par Inoue dans « Le Maître de thé » ou celui de Mishima dans « Le Pavillon d’Or ». Les alentours de Rome si chers à Claude Gellée dit Le Lorrain, ce maître du dessin du XVIIème siècle, ou plus récemment à Cy Twombly, mais aussi toute l’Italie qui, plus encore qu’un pays, est une grande idée…

8. « C’est moi qui pénétrant la dureté des arbres, Arrache de leur cœur une savante voix… », que vous évoquent ces vers du poète Théophile de Viau sur les arbres ?

Marc Dubrule : Cela me parle car j’aime peindre les arbres. C’est l’un de mes sujets de prédilection. Les arbres sont la synthèse de l’air, de l’eau et de la terre. Ce sont nos poumons à tous. Et quand je peins un arbre, je suis littéralement en fusion avec lui. Je perds la notion du temps. Je me sens telle une feuille parmi d’autres. Les arbres sont des êtres vivants. Un jour d’ailleurs un arbre m’a parlé. C’était au restaurant dans le village provençal de Lumières. Par contre je ne sais plus ce qu’il m’a dit car j’avais bu un peu trop de La Canorgue blanc…

9. Quelle importance accordez-vous à la littérature et la musique dans vos périodes de création ?

Marc Dubrule : Je travaille plutôt dans le silence. Parfois accompagné de voix féminines du Jazz, ou par le piano de Glenn Gould. La littérature et la poésie comptent davantage pour moi. La littérature anglo-saxonne des EM Forster, John Fante, et surtout Jim Harrison a constitué un imaginaire riche, une certaine vision de l’espace, du romantisme et des rapports humains. La poésie de Nerval, Rimbaud, Baudelaire et surtout de René Char a mis des mots et des lieux sur mes émotions. J’aime aussi et d’un point de vue documentaire les correspondances d’artistes comme celles des postimpressionnistes Camoin, Marquet, Matisse, ou d’autres artistes du XXème. Enfin je pense aux écrits de Lee U-fan, Soetsu Yanagi, ou même plus près de nous d’Axel Vervoordt sur le wabi-sabi, que je relis souvent et qui ont un fort impact sur moi.

10. Quels sont les matériaux que vous préférez utiliser ?

Marc Dubrule : J’aime le papier et le papier grain torchon d’Arches en particulier, son toucher, son épaisseur, sa manière d’absorber l’encre et son rendu bien sûr. Les noirs sont profonds. Le grain apparent. Les bords des grandes feuilles irréguliers. Je n’aime pas les papiers fins et un peu translucides qu’utilisent les calligraphes d’Asie. Ce qui me plait c’est le mariage des pinceaux calligraphiques ou de l’encre, qui viennent tous deux de Tokyo ou Seoul, avec les supports papier occidentaux comme ce papier d’Arches.

Il m’arrive de faire des sculptures opportunistes, ou même de peindre sur des matériaux bruts comme le bois, la pierre, et surtout sur des tomettes anciennes de terra cotta que je trouve chez un marchand de matériaux de récupération à Apt en Provence.

11. L’ensemble vos créations semblent porter un langage cadencé, comme une danse des mots. N’avez-vous jamais songé à écrire de la poésie ?

Marc Dubrule : Il ne me semble pas réfléchir ni créer en termes de cadence. Mais je suis sensible à une forme de répétition propre au minimalisme, et j’aime les formes brèves comme les haïkus. Il m’est arrivé mais rarement d’écrire de la poésie, comme « Les mots d’anges » qui figure dans mon ouvrage « Traits de vie » de 2010. Je suis plus sensible aux aphorismes que j’écris par centaines depuis plusieurs années.

12. Vos peintures pourraient-elles être qualifiées d’esthétique méditative, dont découle un sentiment de plénitude doublé par une impression d’infini palpable ?

Marc Dubrule : C’est très flatteur. Quand je travaille je suis personnellement dans une forme de méditation active. Mais amener le regardeur lui-même vers une forme de méditation est un but tellement louable. Si j’atteignais cet objectif, et c’est le cas de le dire, cela serait le Nirvana.

13. « La Terre adorée, partout, fleurit au printemps et reverdit : partout, toujours, l’horizon bleu luira ! Éternellement… Éternellement… », a écrit Mahler dans le dernier lieder du ‘’Chant de la Terre’’. Ces paroles pourraient-elles illustrer vos séries monochromes bleues, qui louent la beauté de la Nature… ?

Marc Dubrule : Ce sont de bien belles paroles que ce lieder de Mahler. Quelle illustration rêvée pour mes travaux autour du bleu ! Parler de bleu, de nature, d’horizon et d’éternité fait surtout référence pour moi aux mots de Gaston Bachelard que reprit largement à son compte Yves Klein pour l’exposition « Le vide » : « D’abord il n’y a rien, ensuite un rien profond, puis une profondeur bleue ».  Oui le bleu « attire l’homme vers l’infini, vers l’éternité » écrivait aussi Kandinsky. En tout cas, il a cet effet sur moi.

14. Quels sont vos projets à venir ?

Marc Dubrule : Un projet de livre de textes et peintures que j’aimerais mener à bien cette année. Une exposition de groupe fin février à Lyon et une prochaine solo exposition à Paris cet automne.

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