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“J’ai rêvé le Beau” avec le peintre vénitien Roger de Montebello

Depuis « Venise la rouge » comme la décrivait Alfred de Musset, le peintre Roger de Montebello suit les traces des grands maîtres qui ont consacré leur don à la représentation parfaite de la Sérénissime. Explorant les liens entre la peinture métaphysique et le monde Méditerranéen, Roger de Montebello se situe à Venise, entre Orient et Occident, là où le cœur d’un Art en quête de sens bat au quotidien.

Roger de Montebello découvre très tôt les lieux qui inspireront plus tard sa peinture : Venise, la Méditerranée, l’Espagne. Ses études l’emmènent à Séville où il acquiert les bases de la peinture à la faculté des beaux-arts, puis à Harvard où il étudie à la fois la pratique picturale et l’histoire de l’art. De retour en Europe, il ne tarde pas à se consacrer entièrement à son art. Ses voyages le portent souvent sur les rivages de la mer Méditerranée. Ses thèmes principaux sont les vues urbaines, notamment Venise, la corrida peinte sur le vif et le portrait.

En 1994, René Huyghe, éminent spécialiste de la peinture et membre du Comité français pour la sauvegarde de Venise écrit : « Lumière, couleur et construction plastique se partagent le talent des peintres. Montebello a su les associer à un degré égal dans sa recherche, dotée de ce fait d’une richesse exceptionnelle ». Depuis, certains auteurs et personnalités du monde de l’art, souvent proches de Venise suivent et soutiennent son travail. Une grande exposition lui a été consacrée au Musée Correr de mai à septembre 2017, dont Jean Clair était le commissaire et Gabriella Belli le directeur artistique.

1.Vous considérez-vous comme une figure de la peinture contemporaine ?

Roger de Montebello : Absolument pas. Comme un peintre ? Oui. En devenir, qui essaie, qui apprend. Contemporain ? Non,  je n’aime pas ce que ce mot est devenu. À l’origine descriptif, ce terme a été détourné vers un usage instrumentalisé à des fins idéologiques et commerciales. Il y aurait parmi les artistes vivants ou morts ceux qui feraient de l’ « art contemporain », les bons ; et d’autres, vivants, qui feraient de l’art non contemporain, les mauvais. Cette division est en soi une imposture. Et ce mot rime trop avec marché de l’art, foire, spéculation, marketing, fashion, entertainement etc. Il cache souvent prétention, ignorance et corruption. Donc non merci je n’en veux pas : il représente un monde que j’interdis de rentrer chez moi. Et pour l’autre terme de votre question, « figure », il ne me correspond pas. Je peins et je dessine seul, à l’écart de l’agitation, isolé sur mon petit coin de terre entre ciel et mer, avec mes faibles moyens d’expression, et sûr de rien, sauf de mon admiration pour les grands peintres. Ce qui compte pour moi c’est de pouvoir placer mon regard de peintre face au monde, à ses beautés, à ses mystères, à ses enchantements. Devant lui, et à armes bien inégales, j’essaie, en luttant, d’en saisir et d’en distiller quelques fragments… Cette contemplation, pour ne pas dire cette confrontation me donne de la peine et de la joie : c’est ma vie et mon destin.

2. Comment définiriez-vous votre style ?
Roger de Montebello : Je ne le définis pas. Le style, dans son acception commune, est la cohérence des formes au travers d’une vie et de l’oeuvre d’un peintre, c’est un critère a posteriori pour le regard extérieur, qui reconnait l’auteur d’un tableau par son « style ». C’est une notion complexe et fondamentale, explorée par les historiens et philosophes. Mais si le peintre lui-même, devant son tableau en cours, essaye de s’en tenir volontairement à ce qu’il croit être son propre style pour faire avancer le tableau, pour qu’on en reconnaisse l’auteur au premier coup d’oeil, selon la logique publicitaire de l’identification immédiate, il court un danger. Celui de devenir un « styliste », coupé de la source originelle de ses tableaux: sensations-pensées-émotions, qui, si elles sont variées et évolutives, peuvent déterminer des formes d’expression tout aussi variées et évolutives. Pour le peintre, ce qui est fondamental c’est de s’occuper de la forme particulière de son tableau en cours, c’est même là son seul terrain d’action. Comme la forme c’est selon le mot célèbre « le fond qui remonte à la surface » : c’est sur la source profonde de son art que le peintre doit veiller sans cesse et dans laquelle il puise, et le reste – dont le style – n’adviendra que par conséquence.

3. Racontez-nous votre parcours
Roger de Montebello : En apparence un parcours linéaire ! Né dans une famille européenne et américaine tournée vers les arts, j’ai suivi ce qu’on dénommerait une bonne éducation. Depuis 1992, j’habite Venise où je travaille dans un grand atelier, et je peins des « paysages heureux». Mais intérieurement, dans et par la peinture, mon parcours est hésitant, tâtonnant, contradictoire, inquiet. Vivant dans un monde dont j’ai refusé les idoles, j’ai dû apprendre comme tout le monde à trouver mon chemin tout seul, quitte à faire fausse route et à perdre du temps, à apprendre péniblement les outils de mon métier, à distinguer l’essentiel du reste, ce qui est le plus difficile. Et je continue à apprendre et à m’interroger, plus que jamais. J’ai eu la chance immense d’avoir des acheteurs pour mes tableaux, ce qui donne une grande liberté pour poursuivre mon voyage exploratoire dans la peinture.

4. Quel a été votre tout premier contact avec la peinture ?
Roger de Montebello : Après une enfance entourée de tableaux variés, le premier peintre qui m’a vraiment parlé c’est Jackson Pollock, que j’ai découvert lors d’une exposition à Beaubourg au début des années 80.

5. « Lumière, couleur et construction plastique se partagent le talent des peintres. Montebello a su les associer à un degré égal dans sa recherche, dotée de ce fait d’une richesse exceptionnelle », qu’avez-vous ressenti à cette critique de l’éminent historien d’art René Huyghe ?
Roger de Montebello : J’ai ressenti qu’il avait vu juste en comprenant que je cherchais un équilibre entre les trois éléments dont il parle. Remarquons qu’il parle d’un « degré égal », pas d’un « degré élevé », donc son observation ne m’est jamais montée à la tête. La notion d’équilibre m’est chère. J’aime beaucoup les livres et la pensée de René Huyghe, c’est un grand connaisseur de l’art, qui ose parler d’âme dans la peinture, et avec souffle.

6. Peut-on parler de période française, espagnole, et italienne dans votre peinture ?
Roger de Montebello : Non, j’ai des thèmes variés et non chronologiques.

7. Vous considérez-vous comme un peintre de la Méditerranée ?
Roger de Montebello : La Méditerranée est une grande part de mon univers historique et géographique, surtout ses rivages nords. Mais plus généralement je me sens lié à l’Europe, dans ses composantes Nord et Sud.

8. Venise est-elle votre muse ?
Roger de Montebello : Pas vraiment. Disons que j’ai reconnu en Venise une part importante de la forme de mon esprit, de la structure de mon être. Ville platonicienne divisée entre réalité et reflet, ville à la fois allongée et qui émerge, ville où temps et espace ne forment qu’un, ville-musique où la mélodie flotte sur l’harmonie, où tout vibre dans la lumière…

9. Pourriez-vous envisager de vivre ailleurs qu’à Venise ?
Roger de Montebello : Peut-être à Burano.

10. Quelle influence exercent les maîtres anciens dans votre peinture ?
Roger de Montebello : Je les regarde beaucoup. J’aime particulièrement, mais pas exclusivement,  les époques précédents les grands classicismes: notamment l’art grec dit « archaïque » et le quinzième siècle européen, italien, flamand. Synthèse magique entre l’émerveillement face au monde et la recherche passionnée de moyens pour exprimer cet émerveillement. Ce double élan est selon moi la source de la grande poésie.

11. Quels artistes contemporains vous inspirent ?
Roger de Montebello : Probablement tous, d’une manière sans doute souvent inconsciente, qui fait que chaque peintre ne peut pas faire autre chose que de la peinture de son époque.

12. Quels sont projets à venir ? 

Roger de Montebello : Peindre et dessiner ! Une exposition à Genève en 2021, à la galerie Espace-Muraille. Et l’actualité immédiate : la parution d’un essai de Guido Brivio sur ma peinture, « Architetture dell’ Invisibile, Roger de Montebello e la verità in pittura », éditions Moretti & Vitali, 2020, trilingue (italien, français, anglais).

En savoir plus sur Roger de Montebello : http://montebellopaintings.com/

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