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La Gravité et la Grâce par Gérard Uféras

Gérard Uféras est né et vit à Paris. À partir de 1984, il entame une collaboration régulière avec le journal Libération, pour lequel il réalise de nombreux reportages et portraits. Il participe à la création de l’agence VU en 1986, et publie régulièrement dans la presse française et internationale. Parallèlement au photo-journalisme et à son travail de portraitiste, il réalise des campagnes de publicité, travaille dans la communication institutionnelle et réalise des séries de mode. Il poursuit parallèlement des recherches personnelles qui l’amènent à exposer dans de nombreux pays.

Passionné par la musique et le théâtre, lauréat du prix “Villa Medicis hors les murs”, il entreprend dès 1988 un long périple à travers l’Europe dans les coulisses des théâtres d’Opéra. Commencé à Paris et achevé à Moscou en 2001 celui-ci sera publié dans le livre ” Un fantôme à l’Opéra ” aux éditions du Collectionneur. Il rejoint l’agence Rapho en 1993. Suivent alors une série de grands travaux: “L’Etoffe des rêves”: l’univers de la mode réalisé dans toute l’Europe ainsi qu’à New-York, “The visit”: l’ile de Thanet dans le sud de l’Angleterre à la demande de la Cross Channel Photographic Mission, “Les coulisses du festival”: le festival du cinéma de Cannes, le Piccolo Teatro de Giorgio Strehler à Milan… En 2005 il passe une année entière avec le ballet de l’Opéra national de Paris. Pour l’édition en 2006 d’un livre publié à l’occasion de ses 150 ans, Saint Gobain PAM lui demande de réaliser les portraits de l’ensemble de ses 2800 salariés. En 2009 la Maison Européenne de la Photographie lui consacre une exposition rétrospective, «  Etats de Grâce », présentant vingt ans de travail. L’exposition « Paris d’amour » présentée à l’ Hotel de Ville de Paris pendant l’été 2010 accueille soixante mille visiteurs. En 2011 le théâtre du Bolchoï de Moscou ouvre à nouveau ses portes après une rénovation de six ans, un livre est publié à cette occasion avec une carte blanche donnée à trois photographes: Peter Lindbergh, Sarah Moon et Gérard Uféras.

Par ailleurs, la maison Dior lui demande de suivre toutes les étapes de création d’une collection haute couture, en suivra l’édition de trois ouvrages et une exposition itinérante. Habitué des musées depuis l’âge de douze ans, il décide alors de se concentrer en 2016 sur ces lieux de culture et entame un travail sur la plupart des musées parisiens et de nombreux musées dans le monde qu’il poursuit encore actuellement. Exposé au MAMM de Moscou, l’exposition accueille quatre vingt mille visiteurs. En 2017 le théâtre de la Scala lui commande un ouvrage sur sa compagnie de ballet, il y travaille pendant un an. Hanté depuis sa première visite par la magie du Bolchoï de Moscou, il décide alors de passer un an complet afin de réaliser une exposition et un livre. Gérard Uféras aime traiter ses sujets en profondeur et envisage la publication dans la presse, l’édition et l’exposition comme un tout servant à l’expression de sa vision intime d’un sujet.

Rencontre avec ce photographe poète de légende qui saisit dans les cénacles chatoyants de la création que sont les coulisses des plus grands opéras, des défilés de mode ou du ballet de Paris, l’acuité sensible et la magie de ceux qui l’entourent. Tout chez Gérard Uféras respire un savoir-faire qui sacrifie le paraître à son amour du beau.

1. Vous considérez-vous comme une figure de la photographie contemporaine ?

Gérard Uféras: La photographie est un médium qui a eu de plus en plus de succès ces dernières années. De nombreux lieux d’exposition se sont créés, une multitude de festivals ont fini par mailler l’ensemble du territoire et la photographie a acquis un statut qu’elle n’avait pas quand j’ai commencé mon parcours. La révolution du numérique a bouleversé le monde de la photographie tel que je l’ai connu à mes débuts. De nombreux jeunes photographes sont apparus et chaque génération de photographe est bien sûr influencée par ses aînés.

J’aime passionnément la photographie et je suis curieux de tous les courants qui coexistent. Je ne sais pas si je suis une figure de la photographie contemporaine car j’imagine qu’on mesure cela à l’influence qu’on peut avoir, mais je suis heureux de pouvoir continuer mon travail, envisager de nouveaux projets au long cours et faire des expositions en France et à l’étranger qui apportent un peu de rêve et de réflexion.

2. Comment définiriez-vous votre style ?

Gérard Uféras : Mon style a été influencé par le courant de la Photographie qu’on a appelé humaniste. C’est une photographie du réel mais qui doit avoir une ouverture vers l’imaginaire. Elle est profondément influencée par ma fréquentation des musées et de l’art.

La photographie a sa propre histoire mais elle s’inscrit également dans un mouvement qui lui est antérieur, celui de l’histoire de l’art. Une grande photo doit à la fois parler du réel, elle est le fruit d’une émotion, mais elle doit aussi s’exprimer dans une forme plastique aboutie. Une grande photo nous raconte une histoire, c’est un peu comme la lampe d’Aladin. La rétine s’y frotte et de l’image jaillit un génie qui nous raconte une histoire. C’est une histoire du réel qui nous amène au rêve, à une fiction qui si elle est vraiment aboutie nous raconte quelque chose de très profond sur le monde réel dans lequel on vit. Elle doit garder une part de magie qui s’exprime à chaque fois qu’on la regarde.

Un jour quelqu’un demanda à Edouard Boubat pourquoi il faisait des photos. Il fit cette réponse magnifique : « pourquoi est-ce que je fais des images ? Parce que image… Image… Magie ! » pour Edouard Boubat et pour moi-même également, comme pour tous les photographes que j’aime, une grande photographie doit être l’anagramme du mot magie…

3. Racontez-nous votre parcours…

Gérard Uféras : Mon père collectionnait les appareils photo, mais c’est surtout moi qui les utilisais. J’ai ainsi réalisé des photos depuis très jeune. Nous habitions à Montreuil, j’avais deux amis et nous avons décidé de découvrir Paris par ses musées et c’est ainsi qu’à l’âge de 11 ans a débuté mon histoire avec l’art.

Vers quinze ans je me suis beaucoup intéressé à la photographie du réel, au reportage, j’ai fait beaucoup de photos vers mes vingt ans. Je ne pensais pas à l’époque que la photographie pouvait être un métier. Par la suite j’ai eu un parcours de travail dans lequel je m’ennuyais beaucoup, je travaillais dans un commerce. C’est l’ennui qui m’a fait penser que cette passion que j’avais pour la photographie pouvait peut-être devenir un métier.

La première personne du métier à qui j’ai montré mon travail fut Christian Caujolle qui à l’époque était directeur du service photo Libération… et il m’a confié un premier reportage dès la semaine suivante. C’était une période unique, le journal attirait à l’époque tous les photographes les plus talentueux de leur génération. Libération avait un impact extraordinaire car c’était avant l’arrivée d’Internet et tout le monde lisait Libé. Travaillant pour Libération, mon travail était vu par toute les rédactions et j’ai commencé à travailler pour des magazines en France et à l’étranger.

Puis j’ai fait partie de la création de l’agence Vu. Tout allait bien, mais j’étais frustré par le fait de travailler sur des sujets d’une façon trop rapide. Je sentais qu’il me fallait plus de temps pour explorer un sujet… et c’est avec l’opéra qu’a commencé toute une série de projets au long cours… et c’est ce qui me passionne le plus.

4. Quel a été votre premier contact avec la photographie ?

Gérard Uféras : Les deux premiers grands impacts de photographes ont été pour moi, Henri Cartier-Bresson et André Kertész.

Puis ce furent Willy Ronis (qui devint l’un de mes amis les plus proches), Josef Koudelka et William Eugène Smith.

Et bien sur, Robert Frank et William Klein qui influencèrent tous les photographes de ma génération. Mais il y en beaucoup d’autres et j’ai souvent l’impression quand je fais une bonne photo que c’est aussi tenir une conversation avec d’autres photographes qui m’ont précédé.

5. Quel regard portez-vous sur la photographie ?

Gérard Uféras : La photographie c’est aller vers le monde. Alors bien sûr… c’est découvrir quelque chose qui nous était auparavant étranger. La photographie doit contenir la trace d’une émotion. Chaque rencontre doit être « une première fois » si vous souhaitez éprouvez une émotion et montrer quelque chose d’inédit, sinon vous ne faites que répéter une formule. Alors découvrir un lieu, un monde nouveau comme à chaque fois que je démarre un nouveau projet c’est se confronter au monde, s’apercevoir que celui-ci est bien plus grand que nous et que l’homme est fait pour aller vers les autres.

Je n’aime rien tant que m’apercevoir que j’avais des à priori sur un sujet et que celui-ci est bien plus riche que je ne le pensais. Et j’ai l’impression de grandir un peu… Et moi qui étais d’un naturel timide, la photographie m’a permis d’aller vers les autres… et de m’émerveiller.

6. Dans quelles mesures le théâtre et l’opéra ont-ils influencé votre travail ?

Gérard Uféras : J’ai toujours eu une passion pour le théâtre, je regardais l’émission de Claude Santelli « Le théâtre de la jeunesse » à la télévision quand j’étais enfant. Au départ je suis un grand amateur de jazz, la musique classique est venue plus tard. Je suis autodidacte et j’ai fait connaissance avec les grands mouvements de la musique classique en partant de la musique contemporaine pour aller jusqu’aux baroques – donc à rebours, et l’Opéra est venu de ma passion pour la musique et le théâtre… mais surtout d’une rencontre avec l’Opéra Garnier qui m’a subjugué.

En 1988 j’y ai été convié pour une carte blanche avec d’autres photographes… et on peut dire que j’ai été envoûté. Un monde qui vit le jour et la nuit, rempli de gens habités par la même passion, avec tant de métiers différents, qui se réunissent pour créer un monde féérique qui parle des passions humaines, qui parle de nos aspirations, mais aussi du monde dans lequel nous vivons, ça m’a enthousiasmé. Et j’aime les coulisses, où pourrez-vous photographier une discussion entre une licorne et un machiniste? Où pourrez-vous photographier un fantôme? Et côtoyer Patrice Chéreau, Luc Bondy, Georg Solti, Dawn Upshaw et tant d’autres?

J’ai parcouru toute l’Europe et vu comment un corpus commun à tous, le répertoire, pout être interprété avec tant d’inflexions différentes liées à la culture de chaque pays, c’était vraiment formidable. Et puis j’ai fait également un livre sur le Piccolo Teatro où j’ai côtoyé Giorgio Strehler qui avait inspiré Chéreau, je fais maintenant un peu partie de cette grande famille italienne !

7. Pourrait-on vous qualifier de Degas de la photographie ?

Gérard Uféras : Le travail sur le ballet de l’Opéra national de Paris est venu après toutes ces années à travailler sur le lyrique, d’une commande de l’Express. Gérard Mortier qui était devenu un ami, venait d’être nommé à la tête de l’Opéra de Paris, je suis allé le voir en lui montrant deux photos faites pour l’Express. Je lui ai dit que je ne pouvais pas imaginer de laisser ces deux photos orphelines, il m’a présenté à Brigitte Lefèvre et j’ai ensuite eu la chance de passer une année avec cette compagnie exceptionnelle. Tant d’années de travail pour arriver à atteindre la grâce et la légèreté…

Plus tard j’ai été convié ainsi que Sarah Moon et Peter Lindbergh à travailler à Moscou sur le Bolchoï. J’ai été tellement émerveillé que j’y suis retourné, plusieurs années plus tard… et je préparais un livre sur le Bolchoï quand la Russie a envahi l’Ukraine. Le travail sur le ballet s’est plus tard poursuivi avec le ballet de la Scala de Milan.

Comme vous le suggérez, il est difficile de ne pas penser à Degas quand vous travaillez sur un tel sujet… mais c’est un sujet plus exigeant qu’on ne le pense… car il semble être facile, et bien sûr, si vous souhaitez éviter les poncifs, il faut éviter la facilité… comme le faisait Degas.

8. Vous avez pu également découvrir l’univers intime de la Maison Dior…

Gérard Uféras : J’ai arrêté mon travail sur l’Opéra qui a duré tant d’années quand Charles Henri Favrod du musée de l’Elysée de Lausanne, qui avait soutenu ce travail depuis le début a décidé de faire l’exposition. Cette exposition a fait l’objet d’un premier livre… et il me fallait trouver maintenant un nouveau projet. Je vivais avec une femme passionnée par la mode, à l’époque Marie-Christiane Marek retransmettait les défilés sur Paris Première et Libération donnait une carte blanche à un nouveau photographe chaque semaine de défilés. Cela m’a semblé naturel de passer de l’Opéra à la mode, c’était aussi travailler en coulisses pour un spectacle éphémère.

Je suis allé voir Libération en leur montrant mon travail sur l’opéra… et ils m’ont demandé de faire une semaine de Haute couture pour eux. Mais comme pour l’opéra, ce qui me passionnait c’était de me retrouver dans un monde bourré de talents qui partagent tous la même passion, alors j’ai non seulement travaillé à Paris, mais aussi à Milan, New York, Londres et dans les grandes écoles de mode, à Bruxelles, Londres, Arnhem, Anvers, etc…

Ce travail a été exposé au Musée des Arts Décoratifs et a attiré l’attention de beaucoup magazines dans le monde et de maisons de couture dont Dior. Un jour, Olivier Bialobos de la maison Dior m’a demandé si cela m’intéresserait de raconter l’élaboration d’une collection de Haute Couture, en partant du dessin jusqu’au défilé tout en suivant toutes les étapes de son élaboration. Cela a été une expérience extraordinaire pour moi, j’étais à nouveau plongé dans un monde de création et de savoir-faire incomparable. A ce jour j’ai fait trois livres pour la maison Dior.

9. Vous avez été couronné des plus grands prix de la Photographie, comment réagissez-vous face à cette consécration ?

Gérard Uféras : Ce qui m’importe aujourd’hui c’est de continuer à produire de nouvelles images,… c’est si merveilleux la photographie! C’est un immense plaisir quand je vois des gens qui découvrent certaines images et de sentir qu’ils partagent les émotions que j’ai eues en les prenant.

Je suis très heureux que mon travail entre maintenant dans les collections de l’état en intégrant la collection de la Médiathèque du patrimoine et de la photographie.

Quand j’étais enfant j’adorais jouer aux billes, chacune de mes billes était comme un joyau, j’ai l’impression que chaque nouvelle bonne image est comme une des ses billes et cela me réjouit de penser qu’elle pourra faire rêver d’autres que moi dans les générations à venir.

10. Quelle est selon vous la place de la photographie aujourd’hui, à l’ère où tout un chacun peut y avoir accès via les smartphones ?

Gérard Uféras : La photographie a beaucoup évolué avec le numérique, elle s’est démocratisée et c’est une très bonne chose. Les  appareils permettent de photographier dans des situations qui étaient difficiles sinon impossibles auparavant.

Mais en même temps nous sommes confrontés par les réseaux sociaux à une avalanche d’images ininterrompue. Comment apprécier un chef d’oeuvre de Bonnard de Matisse ou de Willy Ronis s’il nous est présenté au milieu de trois cents photos de chats ou d’enfants ? L’intelligence artificielle va-t-elle modifier notre perception de la réalité, va-t-on ensuite accepter une image avec ses imperfections ? Je n’ai pas de réponse.

Mais en ce qui concerne la place de la photographie dans nos sociétés aujourd’hui, elle est énorme. Quand j’ai commencé mon parcours, une question de l’époque était : la photographie est-elle un art? Il me semble que plus personne ne pose la question aujourd’hui, nous en connaissons la réponse.

11. Quels sont vos projets à venir ?

Gérard Uféras : Je suis en train de préparer un livre sur le ballet de la Scala de Milan qui devrait paraitre en fin d’année. J’aimerais beaucoup que mon livre sur les Musées (j’y travaille depuis fin 2016)  sorte également. Je ne sais pas si le livre sur le Bolchoï pourra sortir un jour… et j’ai entamé un nouveau projet sur lequel il est un peu prématuré de parler.

Pour en savoir plus sur Gérard Uféras : www.gerarduferas.com

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